Par Chris Hedges, le 12 septembre 2025
Les mouvements messianiques ont besoin de martyrs pour sanctifier la violence. Faire preuve de pitié ou de compréhension envers l'ennemi revient à trahir le martyr et la cause pour laquelle il est mort.
L'assassinat de Charlie Kirk augure une nouvelle étape mortifère dans la désintégration d'une Amérique divisée et fortement polarisée. Alors que les discours toxiques et les menaces fusent comme des grenades sur les fractures culturelles, débouchant parfois sur des violences réelles - notamment le meurtre de Melissa Hortman, ancienne présidente de la Chambre des représentants du Minnesota, et de son mari, ainsi que les deux tentatives d'assassinat contre Donald Trump -, le meurtre de Kirk est le signe avant-coureur d'une désintégration sociale à grande échelle.
Son assassinat a offert un martyr au mouvement qu'il représentait, fondé sur le nationalisme chrétien. Les martyrs sont la force motrice des mouvements violents. Chaque hésitation à recourir à la violence, chaque discours de compassion ou de compréhension, chaque effort de médiation ou de discussion est perçu comme une trahison du martyr et de la cause pour laquelle il est mort.
Les martyrs sacralisent la violence. Ils sont utilisés pour bouleverser l'ordre moral. La dépravation devient moralité. Les atrocités passent pour de l'héroïsme. Le crime devient justice. La haine, vertu. La cupidité et le népotisme sont élevés au rang de vertus civiques. Le meurtre n'est plus un crime. La guerre est l'esthétique ultime. Voilà ce qui nous attend.
Shot Heard Around the World - by Mr. Fish
"Nous devons faire preuve d'une détermination à toute épreuve", a déclaré Steve Bannon, stratège politique conservateur, dans son émission War Room, ajoutant : "Charlie Kirk est une victime de guerre. Nous sommes en guerre dans ce pays. On le sait"."S'ils ne se calment pas, nous n'aurons d'autre choix que de nous battre ou de mourir", a écrit Elon Musk sur X.
"La droite doit s'unir. Assez de ces querelles internes absurdes. Nous sommes confrontés à des forces démoniaques tout droit sorties de l'enfer", a écrit le commentateur et auteur Matt Walsh. "Oubliez vos différends personnels. Ce n'est pas le moment. Ce combat est existentiel. Un combat pour notre propre existence et celle de notre pays".
Le député républicain Clay Higgins a déclaré qu'il usera de
"l'autorité du Congrès et de toute son influence auprès des grandes plateformes technologiques pour imposer l'interdiction immédiate et à vie de tout message ou commentaire dénigrant l'assassinat de Charlie Kirk". Et il ajoute : "Je vais également m'attaquer à leurs licences commerciales et à leurs agréments. Leurs entreprises seront immédiatement placées sur liste noire, ils seront radiés de toutes les écoles et leurs permis de conduire seront révoqués. Je vais tout simplement anéantir les animaux malfaisants et dérangés qui ont célébré l'assassinat de Charlie Kirk".
Joe Lonsdale, cofondateur de Palantir, a profité de la mort de Kirk pour plaider en faveur de la destruction de l'"alliance rouge-verte" des "communistes et islamistes" qui, selon lui, se seraient unis pour détruire la civilisation occidentale. Il propose une application permettant aux citoyens de télécharger des photos de crimes et de sans-abri en échange de réductions d'impôts fonciers.
Sam Hyde, un comédien d'extrême droite qui compte près d'un demi-million de followers sur X, a répondu à l'annonce de la mort de Kirk par Trump en tweetant :
"Il est temps de faire votre putain de boulot et de prendre le pouvoir... Si vous voulez être plus qu'une note de bas de page dans la section 'Déclin américain' des futurs livres d'histoire, c'est maintenant ou jamais".
Dans son tweet, il a tagué des membres de l'administration et des entrepreneurs militaires privés.
L'acteur conservateur James Woods a averti :
"Chers gauchistes, nous pouvons dialoguer ou déclencher une guerre civile. Un seul coup de feu de votre part et vous n'aurez plus ce choix".
Ce tweet a été partagé près de 20 000 fois, a reçu 4,9 millions de vues et plus de 96 000 likes.
Ce ne sont là que quelques exemples parmi la multitude de propos virulents partagés et applaudis par des dizaines de millions d'Américains.
Les 30 millions de licenciés de la classe ouvrière, dépossédée de ses moyens de subsistance, ont sombré dans la rage, le désespoir, la désorganisation, l'aliénation et la pensée magique, terreau fertile pour les théories du complot, la soif de vengeance et la célébration de la violence comme exutoire au déclin social et culturel.
Les fascistes chrétiens, comme Kirk et Trump, ont habilement exploité ce désespoir. Ils ont soufflé sur les braises. Le meurtre de Kirk risque fort de les enflammer.
Les dissidents, artistes, homosexuels, intellectuels, populations pauvres, vulnérables, de couleur, sans-papiers ou non adeptes d'un nationalisme chrétien perverti seront condamnés comme des parasites à éliminer du corps politique. Ils deviendront, comme c'est le cas dans toutes les sociétés malades, des victimes sacrificielles dans la vaine tentative de parvenir à la rédemption morale et au renouveau de la gloire et de la prospérité perdues.
La cannibalisation de la société, vaine tentative de recréer une Amérique mythique, accélérera le processus de désintégration. L'ivresse de la violence, partagée par bon nombre de ceux qui ont réagi à l'assassinat de Kirk, s'autoalimentera comme un incendie.
Le martyr est essentiel à la croisade, en l'occurrence la "gauche radicale" que Trump entend éradiquer.
Les martyrs sont commémorés lors de cérémonies et autres actes du souvenir, afin de rappeler à leurs partisans la justesse de leur cause et la perfidie de ceux qui sont tenus pour responsables de leur mort. C'est ce que Trump s'est empressé de faire en qualifiant Kirk de "martyr de la vérité et de la liberté" dans un message vidéo le 10 septembre, en lui décernant la Médaille présidentielle de la liberté et en ordonnant que les drapeaux soient mis en berne jusqu'à dimanche. Ainsi, le cercueil de Kirk sera transporté par avion à Phoenix, en Arizona, à bord de l'Air Force Two.
Kirk était le symbole de notre fascisme chrétien émergent. Il colportait la théorie du Grand Remplacement, selon laquelle les libéraux ou les "mondialistes" autoriseraient l'entrée d'immigrants de couleur dans le pays afin de remplacer les Blancs, présentant les tendances à l'immigration comme un complot. Il était islamophobe, tweetant notamment que "l'islam est le glaive brandi par la gauche pour trancher la gorge de l'Amérique" et qu'il n'est "pas compatible avec la civilisation occidentale".
Lorsque la youtubeuse et influenceuse pour enfants Rachel a déclaré : "Jésus dit d'aimer Dieu et d'aimer son prochain comme soi-même", Kirk a rétorqué : "Satan a beaucoup cité les Écritures" et a ajouté : "Au fait, Rachel, si tu ouvrais ta Bible, tu verrais que dans une partie moins connue du même passage, Lévitique 18, il est dit que tu dois coucher avec un homme et être lapidée à mort".
Il a exigé l'abrogation de la loi sur les droits civiques de 1964 et a dénigré les leaders de ce mouvement, tels que Martin Luther King. Il a également affiché un mépris ouvert pour les Noirs, déclarant entre autres :
"Si j'ai affaire à une femme noire et idiote au service clientèle, est-ce à cause de la discrimination positive ?"
Il a déclaré que les
"Noirs qui rôdent" s'en prennent aux Blancs "pour s'amuser". Il a accusé Black Lives Matter de "détruire la cohésion sociale de notre société".
Kirk a également insisté sur la prétendue fraude électorale lde 2020 qui aurait privé Trump de sa réélection. Il a fondé Professor Watchlist et School Board Watchlist pour éliminer les professeurs et les enseignants qu'il a qualifiés de "gauchistes radicaux". Il a également préconisé la diffusion télévisée des exécutions publiques, qu'il estime devoir être obligatoires pour les enfants.
Affirmer qu'il défendait la liberté d'expression et la liberté est absurde. Il s'opposait aux deux.
Kirk, fervent partisan du culte de Trump, incarnait la virilité exacerbée chère aux mouvements fascistes. C'est peut-être ce qui a séduit les jeunes, en particulier les hommes blancs. Il affirmait l'existence d'une "guerre contre les hommes", fantasmait sur les armes à feu et dépeignait Trump à ses partisans comme l'incarnation de la virilité.
"On peut dire beaucoup de choses de Donald Trump", écrivait-il. "Mais personne ne l'a jamais qualifié de femmelette. Trump est un énorme doigt d'honneur à tous ces donneurs de leçons qui s'en prennent aux jeunes hommes juste parce qu'ils osent exister. C'est un énorme 'va te faire foutre' au féminisme institutionnel jusqu'alors jamais remis en cause. La plupart des médias n'ont pas su le voir. Les jeunes hommes, eux, le savent".
Vous savez ce qui nous attend. Et ce ne sera pas joli-joli. En élevant Kirk au rang de martyr, on accorde à ceux qui cherchent à anéantir notre démocratie le droit de tuer, tout comme Kirk l'a été. Le peu de freins qui existaient encore pour nous protéger des abus de l'État et de la violence des citoyens armés vont disparaître. Le nom et le visage de Kirk seront instrumentalisés pour hâter la marche vers la tyrannie, comme il l'aurait souhaité.
Traduit par Spirit of Free Speech